Henri POUILLOT
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Louisette Ighilahriz : Démission du Sénat
Article mis en ligne le 27 octobre 2018

par Henri POUILLOT
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Article / Interview de Louisette Ighilahriz à RFI par Christophe Boisbouvier qui revient sur sa démission et la déclaration de E Macron au sujet de la torture
Tortures en Algérie : "Je remercie E. Macron d’avoir fait un pas, qu’il en fasse d’autres"

Parce qu’elle est contre un cinquième mandat du président Bouteflika à partir d’avril prochain, Louisette Ighilahriz annonce qu’elle démissionne du Sénat algérien. Or cette femme est une grande voix d’Algérie. Pendant la guerre d’indépendance, elle a été torturée par l’armée française. Abdelaziz Bouteflika qui s’accroche au pouvoir, Emmanuel Macron qui reconnait la torture systématique... Sur ces deux faits d’actualité, Louisette Ighilahriz réagit, en ligne d’Alger, au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Louisette Ighilahriz, pourquoi démissionnez-vous du Sénat ?
Louisette Ighilahriz
 : J’ai démissionné parce que cela me paraissait impossible vu sa santé, vu son handicap. D’ailleurs, vous le savez mieux que nous, Algériens, puisqu’il [Abdelaziz Bouteflika] a été pris en charge en France. Vous savez de quoi il s’agit. Le quatrième mandat s’est terminé difficilement avec des scandales de cocaïne, des escroqueries… Et avec des arrestations de généraux et beaucoup d’autres, il y a eu beaucoup de corruption… Donc on finit assez lamentablement un mandat et ils veulent nous investir monsieur le président pour un cinquième mandat où je ne le vois pas. Il ne nous a jamais parlé, on l’entrevoit seulement pendant quelques minutes. Et j’ai dit qu’il fallait arrêter de cautionner cette vaste fumisterie finalement.

Pensez-vous que c’est lui qui veut faire un cinquième mandat ou que c’est son entourage qui le pousse ?
Non, non… C’est son entourage. Effectivement, nous avons pensé à cela. Nous avons réfléchi. Mais on ne connaît ni les noms, ni leur profession… Ce sont des gens, une sorte de caste, un clan qui parle et qui agit en son nom, qui a pour but continuer à dépecer les richesses du pays. Donc, basta. Ça suffit. Niet. Personnellement, je dis non. Je ne veux pas cautionner cela. J’ai des principes et j’ai remis mon mandat.

Pensez-vous qu’Abdelaziz Bouteflika est l’otage d’un clan ?
Eh bien écoutez, on l’entrevoit de temps en temps. Donc est-il conscient ? C’est à vous de nous le dire parce qu’il se soigne chez vous. De quoi est-il malade ? C’est à vous de nous le dire. Parce que nous, on ne sait rien. On sait seulement qu’il y a un clan, une caste, qui gère en son nom. C’est tout.

Vous avez longtemps milité au FLN. Vous en avez même été la directrice centrale en 1980. Alors si aujourd’hui le FLN demande au président de se représenter, est-ce que vous ne risquez pas de parler dans le désert ?
Je ne suis pas FLN. Je suis un électron libre. Donc, je ferai tout pour essayer de conscientiser les gens. C’est clair ! Maintenant, si je prêche dans le désert, eh bien j’aurai quand même dit mon mot.

Actuellement, qui gouverne en Algérie ?
Ah… On parle beaucoup de monsieur le président. D’ailleurs, on l’a entrevu hier, hier soir. Il paraît très fatigué, avec des yeux hagards… Alors je me suis dit : non, ce n’est pas possible que monsieur le président… Et je lui souhaite bon rétablissement ! Je me dis : quand même, ce n’est pas lui. Ce n’est pas possible qu’il puisse gérer un pays, comme ça ! Non. Non, non… Donc c’est un clan qui gère en ce moment en son nom.
Des civils ? Des militaires ?
Eh bien, on n’en sait rien ! Justement, on ne sait pas qui c’est ! Tout est bloqué, tout est calfeutré… On vit une situation kafkaïenne.

Que souhaitez-vous aujourd’hui ? Une transition politique ?
Bien sûr ! Une transition politique normale, légitime, légale, démocratique… Et je souhaiterais un président normal, ayant toutes ses facultés mentales et physiques, patriote… En toute démocratie et à nous de choisir.

En toute démocratie, dites-vous. Mais est-ce que les élections sont libres ?
Ah ça ! Alors ça ! Non, mais on va essayer. Essayer.

Le 13 septembre dernier le président Macron a rendu visite à Josette Audin et a reconnu que son mari Maurice, qui militait pour le FLN, est mort sous la torture à Alger en 1957 du fait d’un système institué alors en Algérie par la France. Vous, qui avez été torturée à la même époque par les mêmes officiers, comment vous réagissez ?
Ecoutez, la reconnaissance par la France des tortures qu’elle a employées par le système, je l’ai toujours réclamée. Parce que, ayant subi des tortures innommables, je le remercie et le félicite d’avoir fait un pas. Et je souhaiterais qu’il continue parce qu’il y a d’autres crimes d’Etat qui n’ont pas été reconnus encore. Il y a Larbi Ben M’Hidi… Il y a énormément de crimes !

Avez-vous été surprise par cette initiative d’Emmanuel Macron ?
Non. Parce que, quand il était candidat, il avait déjà déclaré que la colonisation était très sévère et cela avait été…

Un crime contre l’humanité…
Contre l’humanité, exactement. Et je me disais : il viendra un jour où il reconnaîtra. Non, je n’ai pas été surprise. J’attendais, justement. Et pour moi, je vous assure que c’est un gros poids en moins. J’ai commencé, un peu, à faire mon deuil. Parce que c’est très, très lourd à porter ! D’autant plus que les généraux avec qui j’ai esté en justice m’ont humiliée de mensonges ! Eh bien maintenant qu’il reconnaisse qu’il y a la torture, je suis un peu apaisée.

Pour vous c’est un geste important, c’est cela ?
Il y a un proverbe arabe qui dit : « Ne ressent la douleur que celui qui a marché sur la braise et s’est lourdement brûlé ». Donc nous, nous avons marché sur cette braise ! Et on souhaiterait qu’il reconnaisse que nous avons été douloureusement brûlés ! Et là, qu’il reconnaisse la torture qui a été une braise et qu’il reconnaisse que c’était un système. Donc, personnellement, je me sens un peu apaisée quand même qu’il reconnaisse qu’il y avait énormément de tortures brûlantes.

Alors, quels sont les autres pas que vous attendez ?
Il y a le 17 octobre, chez vous, pour commencer [le 17 octobre 1961, plusieurs dizaines de manifestants pro-FLN sont tués à Paris par la police française, NDLR]. Il y a le 8 mai [le 8 mai 1945, à Sétif, plusieurs milliers de musulmans sont massacrés par l’armée française au cours d’affrontements qui font aussi une centaine de morts chez les Européens], il y a les enfumades… Enfin, qu’il reconnaisse ! Pour que les relations soient apaisées une bonne fois pour toutes.

P.S. :

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