Henri POUILLOT
Guerre d’Algérie, Colonialisme...
Descriptif du site
Le Franc CFA a 70 ans

Le franc CFA ou les derniers vestiges du pacte colonial », Par Babacar Diop JDS

Article mis en ligne le 19 janvier 2016

par Henri POUILLOT
Imprimer logo imprimer

Le 26 décembre 2015, le franc CFA (franc des colonies françaises d’Afrique) a fêté son 70e anniversaire. C’est une occasion de poser un débat qu’occulte la classe politique africaine. Le sujet semble tabou. Aucun parti politique, aucun leader ne s’est prononcé sur la question. Seuls quelques intellectuels ont pu parler de cette problématique qui, depuis les indépendances, maintient nos économies dans une dépendance sous plusieurs formes. Nous saluons ici leur courage et leur patriotisme. Il faut mobiliser une opinion publique capable d’imposer à nos leaders politiques de prendre position clairement sur la question de la monnaie. Les pays de la zone franc doivent sortir de la situation arriérée dans laquelle ils sont plongés.


Une souveraineté confisquée

Le franc CFA est un des symboles les plus marquants de la survivance du colonialisme dans les territoires de l’ancienne métropole. L’esprit du colonialisme est toujours présent, il se présente simplement sous de nouveaux habits. La métropole nous a accordé un semblant d’indépendance, une fête nationale, un drapeau national et un hymne national pour détenir le pouvoir réel et permanent entre ses mains. La France contrôle encore nos pays à travers une technocratie bourgeoise installée à la tête de nos États qui travaille pour ses intérêts. La France, par son pouvoir monétaire dans la zone CFA contrôle notre économie à travers sa monnaie qu’elle nous impose depuis soixante dix ans.

La France nous confisque notre souveraineté. En vérité, la monnaie est « un monopole étatique, un attribut de la souveraineté ». Comment peut-on se dire indépendant lorsqu’on est incapable de battre sa propre monnaie ? A quoi servirait une telle indépendance ? Comment confier 50% de nos réserves de change au trésor français ? La Mauritanie, la Gambie, les anciennes colonies anglaises, telles que le Ghana, le Nigeria, ont réussi à battre leur propre monnaie et à retrouver leur fierté et leur dignité nationales. Mais les pays de l’Union économique monétaire ouest africaine (UEMOA) et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) continuent de dépendre de la France. Ils ont peur de couper le lien ombilical, ils ont peur d’assumer leur destin, leur liberté.

Notre souveraineté est confisquée par la faute de nos propres dirigeants qui manquent d’ambition et de patriotisme. En vérité, c’est l’Afrique qui freine l’Afrique à travers un leadership politique trop faible et trop frileux, un leadership qui annonce son projet politique national sur le perron de l’Elysée. Les présidents africains préfèrent servir les intérêts de l’extérieur au lieu de servir exclusivement les intérêts des peuples qui leur ont fait confiance. La France travaille pour la France. L’Afrique doit travailler pour l’Afrique.

L’esprit du Pacte colonial perdure !

Cinquante ans après les indépendances, le pacte colonial est toujours vivant. Les populations continuent de patauger dans la pauvreté et la misère. Nos économies nationales sont dominées par le capitalisme international. Elles sont au service des entreprises françaises, elles nourrissent la France, elles permettent à la France de rester une puissance mondiale et, peut-être même, de garder son siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU. Que vaut réellement la France sans les pays de l’Afrique francophone ? La France, comme on l’entend souvent, est une puissance africaine. Mais la France ne commet aucune faute, elle travaille pour ses propres intérêts. Loin de nous l’idée de combattre la France. Nous sommes liés à la France par l’histoire.

C’est un fait historique objectif. Le français est une belle langue. Il fait partie désormais de notre patrimoine. Loin de nous aussi l’idée de faire l’apologie de l’autarcie, nous avons besoin de la coopération internationale, nous avons même besoin de la France comme partenaire. Mais il faut des termes d’échange plus équitables. Ce que nous voulons, c’est de sensibiliser nos dirigeants et conscientiser nos peuples. Le développement ne nous viendra pas du Club de Paris, encore moins du Fonds monétaire international (FMI) que quelqu’un a baptisé, à juste titre, « fonds de misère instantané ». Le FMI, à travers ses plans de structuration dans les pays sud, notamment les programmes d’ajustement structurel, est en grande partie responsable de la misère de ces pays. Le développement viendra de nous-mêmes ou il n’y aura pas de développement.

Le processus de libération des anciennes colonies n’est pas achevé. Il faut le poursuivre jusqu’à la liberté totale et réelle. La domination est toujours là. Elle est politique, elle est économique, elle est militaire et elle est culturelle. Il n’y aura pas de développement sans la liberté réelle. L’émergence est une illusion qui n’intéresse que quelques dirigeants corrompus au service de l’ancienne Métropole. Nos politiques publiques sont guidées de l’extérieur. Après les politiques d’ajustement structurel qui ont appauvri nos pays, on nous impose, aujourd’hui, des plans d’émergence conçus par des cabinets étrangers et validés par les institutions financières internationales. Il n’y a pas un seul pays parmi ceux dits émergents qui soit arrivé à ce niveau grâce au Fonds monétaire international ou par les financements extérieurs.

Les exemples du Rwanda, de l’Ile Maurice, du Brésil sont quelques uns parmi tant d’autres. Thomas Piketty nous réconforte dans nos convictions à lorsqu’il écrit, dans son ouvrage monumental, Le capital au XXI e : « Aucun des pays asiatiques qui ont connu une trajectoire de rattrapage par rapport aux pays les plus développés, qu’il s’agisse hier du Japon, de la Corée ou de Taïwan, ou aujourd’hui de la Chine, n’a bénéficié d’investissements étrangers massifs. Pour l’essentiel, tous ces pays ont financé, par eux-mêmes, les investissements en capital physique dont ils avaient besoin, et surtout les investissements en capital humain –l’élévation générale du niveau d’éducation et de la formation-, dont toutes les recherches contemporaines ont démontré qu’ils expliquaient l’essentiel de la croissance économique à long terme ».

Thomas Piketty continue, un peu plus loin, en ces termes : « Les plus pauvres rattrapent les plus riches dans la mesure où ils parviennent à atteindre le même niveau de savoir technologique, de qualifications, d’éducation, et non pas en devenant la propriété des plus riches ». L’expérience et la trajectoire des pays qui sont sortis de la pauvreté pour devenir émergents, montrent que l’indépendance réelle précède l’émergence. Et il n’y a pas d’indépendance réelle sans sa propre monnaie.

L’Afrique n’a pas encore commencé de penser par elle-même et pour elle-même. C’est un préalable pour aller vers le développement. Il faut revenir à Léopold S. Senghor : penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes à partir de nos réalités nationales. Un peuple qui détient un brin de fierté doit avoir honte de confier son plan de développent à un cabinet étranger. Macky Sall est présenté comme un président né après les indépendances. Il est jeune par son âge, mais vieux dans sa tête, dans son cœur, dans son comportement et dans ses complexes. Ce président est trop timoré, trop frileux et trop politicien pour développer un pays. Il faut un coup d’audace pour changer le destin d’un peuple.

La « bibliothèque coloniale » accueille encore de « bons élèves » et « bien disciplinés » qui viennent chercher dans ses rayons les moyens de perpétuer la servitude de leur peuple. La Boétie parlerait de servitude volontaire ! Car c’est lui qui nous explique que « la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude ». Sans doute, c’est l’habitude de penser que l’on ne peut rien faire sans la bénédiction de la France qui nous maintient dans la dépendance économique.

Il faut revenir aux textes de jeunesse de Léopold S. Senghor, des textes profondément révolutionnaires. Il donnait une définition du Pacte colonial dans Liberté 2. Cette définition est toujours actuelle : « Le Pacte colonial, c’est la doctrine de l’absolutisme de droit divin, appliqué aux relations de la métropole et de ses colonies […] « Tout par et pour la métropole. » Vous savez que ses expressions juridiques les plus typiques furent les compagnies à charte, qui reposaient sur la métropole, et le code noir, qui faisait, des esclaves déportés d’Afrique, des « choses mobilières ».

Au XVIIIe siècle, une instruction du roi, adressée au gouverneur de Gorée, précisait que le commerce des esclaves devait être le principal but de la colonie […] malgré les libertés politiques reconnues par la constitution aux peuples d’outre-mer, plus précisément peut-être à cause de ces libertés, les gouvernements de la République ont ressuscité, dans les faits, le Pacte colonial comme l’instrument idéal à résoudre les difficultés économiques et financières de la métropole ». Le « Tout par la métropole et pour la métropole » n’a jamais quitté l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale.

Les quatorze pays de l’Uemoa et de la Cemac perpétuent le Pacte colonial. Ils confient leur économie à la France. C’est la métropole qui définit leur politique économique et monétaire pour la métropole. Nous avons déjà vécu la douloureuse expérience de la dévaluation du franc Cfa en 1994. L’économie de traite est toujours là, c’est une économie dominée par les capitaux étrangers qui exploitent nos richesses pour les transférer dans leur pays d’origine. Pendant ce temps, nos gouvernements continuent de célébrer les performances de taux de croissance dont eux seuls et leurs familles sentent les bénéfices. Ce type de taux de croissance est sans incidence significative sur la vie des populations. L’aliénation économique ne peut produire l’émergence.

Briser définitivement le Pacte colonial !

Il n’y a pas de développement possible dans l’aliénation économique. L’émergence doit commencer par maîtriser nos propres politiques économiques. Joseph Pouemi citant le Pr Rueff disait qu’il n’y a pas, dans l’histoire connue de l’humanité, de changement décisif, quel qu’en soit le sens, auquel n’aient été associés d’une manière ou d’une autre des événements monétaires. C’est sans doute ce qui explique la situation arriérée des pays africains de la zone franc. Parce qu’ils ont négligé une question centrale : la question de la monnaie. Le professeur Joseph Pouemi écrit dans Monnaie, Servitude et Liberté : « Aujourd’hui, faute d’accorder aux questions monétaires l’attention qu’elles méritent, l’Afrique inflige à ses enfants, et plus encore à ceux qui ne sont pas encore nés, des souffrances tout à fait gratuites ».

Nous ne disons pas que la monnaie est la seule cause de tous nos malheurs, mais elle en est responsable sur bien des points. Depuis 2007, les réserves de la BCEAO utilisées par la Banque de France dans les places boursières sont estimées à plus de 5000 milliards de CFA, au moment où la sous-région peine à couvrir ses besoins en investissement prioritaire. Nous produisons pour les autres, parce que c’est eux qui dominent nos économies. Le contrôle de notre monnaie nous échappe. Il faut remédier à cette situation inacceptable qui a trop duré.

Comme nos pères qui ont fait d’immenses sacrifices pour permettre à nos pays de se libérer du joug colonial, nous devons parachever l’œuvre de libération nationale en dotant nos pays d’une monnaie africaine. Tant que cette question ne sera pas réglée, c’est peine perdue de parler d’émergence. L’urgence est de créer une monnaie africaine. La monnaie est un préalable à l’indépendance économique. Il faut d’abord structurer solidement nos économies avant de les lancer vers la rampe de l’émergence, la structuration commencera par le contrôle de notre propre monnaie.

Comment pouvons-nous continuer d’accepter d’être parmi les rares et seuls pays au monde qui confient leur souveraineté économique à un pays étranger ? Nous ne devons pas confier notre monnaie à un pays étranger. La France ne confiera jamais sa monnaie aux Etats-Unis ou à un autre pays. La France a réussi une performance qu’il sera difficile de battre. Elle est le seul pays à avoir réussi d’imposer sa monnaie dans des pays politiquement libres.

La question de la monnaie appelle la mobilisation populaire de tous les progressistes africains, c’est une question de dignité et de fierté africaines. Si les nombreux cadres africains sortis des universités et des facultés des sciences économiques et de gestion ne peuvent pas mettre en place une monnaie africaine compétitive, il faudra déchirer leurs diplômes et renoncer définitivement à voir un jour l’émergence économique de l’Afrique.

Ainsi, nous pourrions choisir volontairement de retourner vivre sous le joug de l’ancien colonisateur. Nous pourrions déchirer nos drapeaux et nos hymnes nationaux et faire du 14 juillet des Français notre fête nationale. Au moins, l’hypocrisie de cette indépendance en vernis cesserait. Et ainsi nos enfants changeraient leurs manuels scolaires pour retourner à des classiques comme Nos ancêtres les Gallois.

Pour ne pas conclure
Nous soutenons vivement les pays de l’Uemoa dans leur projet de création d’une monnaie unique dans l’espace Cedeao. C’est cela l’avenir. Le chemin qui parachèvera le processus de l’indépendance réelle. Il faut briser la chaine de la servitude pour la pleine liberté. Nous devons casser les derniers vestiges du Pacte colonial. Pour une souveraineté monétaire ! Enfin être libre !

Babacar DIOP
Coordonnateur de la Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS)

P.S. :

En France ausi cette question reste quasi tabou dans la sphère politique

Forum
Répondre à cet article


puce

RSS

2002-2024 © Henri POUILLOT - Tous droits réservés
Site réalisé sous SPIP
avec le squelette ESCAL-V3
Version : 3.79.26