Henri POUILLOT
Guerre d’Algérie, Colonialisme...
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En 2014, la page du colonialisme est-elle tournée ?
Article mis en ligne le 3 mars 2014

par Henri POUILLOT
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On entend souvent dire le colonialisme français a pris fin avec les indépendances des colonies dans les années 1960. Puis, on a parlé de néo-colonialisme, de post-colonialisme… Le système de "Françafrique" est parfois évoqué. Le collectif "Sortir du colonialisme" (*) issu de la contestation de la loi du 23 février 2005, fédère les actions menées à l’occasion de cette 9ème édition de la "Semaine anticoloniale". Cette année, les initiatives ont dû s’étaler sur une période de près d’un mois tant furent nombreuses les initiatives (une centaine environ) : colloques, projections de films avec débats, de pièces de théâtre, de rassemblements, manifestations…

En effet, la loi du 23 février 2005 était un révélateur, démontrant que le lobby colonialiste français était encore bien ancré dans le subconscient national. Malgré le retrait de l’alinéa 2 (**) de l’article 4 par Jacques Chirac, cette loi, reste profondément imprégnée par cet "idéal". Les discours de Sarkozy (Toulon 7 février 2007 et Dakar 26 juillet 2007) étaient on ne peut plus clairs sur cette volonté de "justifier" le colonialisme. La droite "classique" intégrait ce symbole du racisme, composante de base du colonialisme, dans sa doctrine politique. C’est à partir de 2002 que l’UMP était pris en main par d’anciens membres de groupes d’extrême droite issus nés au lendemain, ou pendant la Guerre d’Algérie. Un chiffre significatif : avant 2002, en France métropolitaine, il y avait une quinzaine seulement de stèles, monuments "honorant" l’Algérie Française ou l’OAS, cette organisation criminelle, terroriste, raciste, maintenant, c’est 5 fois plus !!!

Avec la campagne électorale sur la base du slogan "le changement, c’est maintenant", et avec l’engagement selon lequel la "Françafrique, c’est fini", on pouvait effectivement espérer une évolution radicale. Le candidat Hollande avait signé une pétition le samedi 15 octobre 2011 après midi "demandant la reconnaissance et la condamnation par les plus hautes autorités de l’Etat du crime d’état que représentait le massacre du 17 octobre 1961". Une fois élu, il devint amnésique. Son piteux communiqué du 17 octobre 2012 est très loin de répondre à cette attente. Pire (?), lors de son voyage en Algérie les 19 et 20 décembre 2012, aucun geste symbolique sérieux, malgré le 50ème anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie, n’a été réalisé. Même le déplacement place Maurice Audin, annoncé seulement la veille de son départ, n’a pas été l’occasion de condamner la responsabilité de la France d’avoir institutionnalisé la torture pendant ces 8 ans terribles. Le jeudi 20 décembre devant les élus algériens, il n’a pas été plus "offensif" que son prédécesseur. Il a simplement affirmé que le système colonial avait été "profondément injuste et brutal", occasionnant des "souffrances" au peuple algérien. Non Monsieur Hollande, ce ne sont pas des souffrances seulement ce sont des crimes qui ont été commis : des crimes contre l’humanité et les crimes d’état que sont le colonialisme, le 17 octobre 1961, le 8 février 1962 à Charonne, les tortures, les viols, les corvées de bois, les crevettes Bigeard, les villages rasés au napalm, l’utilisation des gaz (Sarin et Vx) les essais nucléaires à Régane…

Sur ce plan c’est le sarkozisme qui continue. Le conseiller militaire de l’Elysée trouve normal qu’une stèle érigée sous la responsabilité d’Hervé Morin, il y a 4 ans, trône toujours dans la caserne de Pau, là ou l’on forme les jeunes recrues parachutistes. Cette stèle honore un colonel, putschiste, condamné à mort par contumace pour son activité OAS. Quel exemple, quel idéal pour de jeunes militaires en formation !!! Il faut dire que ce conseiller est le même que sous Sarkozy. Nous n’oublions pas le scandale de l’honneur rendu à Bigeard et ses crevettes par un ministre de la République. Nous n’oublions pas non plus que des courriers ont été envoyés de l’Elysée à des organisations pro-OAS pour leur dire qu’ils n’ont pas à s’inquiéter parce que, certes le 19 mars est devenue la date officielle pour commémorer la fin de la Guerre d’Algérie, mais qu’il n’était pas question d’abroger le 5 décembre où ils pourraient continuer de se retrouver. La gauche au pouvoir persiste donc..

Alors, rien que sur la question algérienne, la 9ème édition de la semaine anticoloniale, à elle seule, aurait ses raisons de poursuivre sa réflexion, ses actions, et de faire réagir la société française pour contester une politique qui reste très imprégnée par l’idée coloniale. La Françafrique, certains disent même maintenant la Françoisafrique, continue de plus belle. Le tapis rouge a été déroulé à l’Elysée pour tous les dictateurs africains, sans exception, le premier étant évidemment Bongo. Les interventions au Mali ou en Centrafrique sont dans cette continuité. Depuis les indépendances la France est intervenue militairement en Afrique plus de 50 fois, en gros une fois par an sur ce continent. Avec le franc CFA, contrôlé par les banques françaises omniprésentes dans ces pays, l’économie est dépendante du bon vouloir français. C’est pourquoi il avait été dévalué, sans l’avis, bien évidemment, des intéressés, de 50% le 11 janvier 1994, créant ainsi une catastrophe économique, sociale, sans compter que les dettes plusieurs fois remboursées continuent de courir. Le système Focard institué par De Gaulle après les indépendances juridiques a mis en place ou maintenu, généralement par la corruption, des dictateurs serviles. La France porte la principale responsabilité de la situation politique, économique au Mali comme en Centrafrique. Le délabrement des institutions militaires, administratives, policières, militaires… dans ces pays est la conséquence, pour l’essentiel, de cette politique de "françafrique". Alors le pseudo gouvernement local n’avait plus d’autre choix que de demander à ceux qui tirent depuis tant d’années les ficelles d’intervenir. Mais ce ne peux qu’être l’échec : un enlisement, et ce n’est pas avec les armes que l’on peut instaurer la démocratie… La seule aide efficace à long terme, c’est d’aider ces pays à mettre en place un vrai service d’éduction, médical,… une dette que la France doit à ces pays.

La France, du moins notre gouvernement, a donc décidé de jouer le gendarme en Afrique, déstabilisant les états pour permettre d’assoir une présence de type colonialiste, par mercenaires interposés. Cela permet aux multinationales Total (autrefois Elf), Bollorée, Aréva et autres… de piller à bon compte les richesses naturelles : or, métaux précieux, pétrole, gaz, uranium… sans que les populations puissent en profiter. Un autre effet pervers est un coût très élevé parce que l’armée dispose, sur place, de milliers de militaires au Mali et en Centrafrique, mais 4 ou 5 fois plus pour assurer la logistique en arrière. Il n’y a pas d’économies dans ce domaine, c’est pour cela qu’il faut couper des dépenses dans le nombre de fonctionnaires, dans les servies publics !!!… Et les entreprises "française", comme par exemple Total, grâce aux paradis fiscaux, ne paie pratiquement pas d’impôts en France !!!

Avec en particulier le travail du mercenaire Bob Denard et ses équipes, dont l’expérience s’est forgée en Afrique, la France a recolonisé l’ile de Mayotte une des 4 principales iles de l’état indépendant des Comores. Et ce département n’aura que dans une vingtaine d’années les mêmes droits (déjà minorés) des autres départements d’outre-mer. Là bas, la France a la terrible responsabilité d’organiser le plus grand cimetière marin de l’Océan. Mais, l’important, c’est l’installation d’une base militaire !!!

Le référendum aura-t-il lieu en Kanakie en 2014, comme cela était prévu avec les accords Rocard ? Le voyage de Hollande en Turquie va-t-il permettre de faire avancer sérieusement l’enquête sur les assassinats des 3 militantes Kurdes tuées en plein Paris, il y a un an ?

La diplomatie française va-t-elle condamner enfin condamner les atteintes graves aux droits de l’homme pratiquées au Maroc en particulier ce procès inique des 23 militants sahraouis lourdement condamnés, il y a juste un an. Le 27 février 2013, le Quai d’Orsay n’avait pas de réponse à nous donner pour qualifier ce procès inique. Cette année, il a même refusé de recevoir une délégation, malgré une demande d’audience formulée un mois plus tôt. Va-t-il continuer de soutenir encore longtemps la politique du Maroc de vouloir annexer ce territoire et de considérer que les droits de l’homme sont désormais correctement respectés ?

Il y a le problème palestinien avec cette colonisation israélienne qui ne cesse de grignoter les territoires de ce peule. La France va-t-elle intervenir politiquement pour qu’une solution pacifique puisse, enfin, être mise en place en imposant à Israël d’appliquer enfin les résolutions de l’ONU.

La question des Tamouls doit également nous interpeller. Un meurtre toujours non élucidé a aussi été perpétré à Paris, il y a moins de 2 ans.

Les habitants des territoires et départements d’outremer, même s’ils sont considérés comme Français restent des citoyens de seconde zone.
Le débat sur l’identité nationale lancé par Sarkozy, il y a 4/5 ans, porte ses fruits maintenant, il a aggravé les réflexes racistes, xénophobes, libérant la parole, facilitant les actes consécutifs. L’objectif était de stigmatiser les étrangers, les enfants d’immigrés, les musulmans… Une expression significative montre à quel point l’idée coloniale continue d’imprégner le subconscient national : jeune ou français "issu de l’immigration" ne désigne pas les enfants d’italiens, de portugais, de polonais ou de hongrois, parce que eux sont automatiquement considérés comme français à part entière, mais ceux qui ont une peau foncée, un prénom ou un nom "trahissant" l’origine de parents nés dans une quelconque ex-colonie ou même dans les DOM-TOM. Ceux là restent toujours considérés comme des sous-citoyens. Alors comment s’étonner que dans cette population discriminée pour ces origines les souffrances ne soient pas difficiles à vivre, qu’une envie de révolte ne soit pas latente. Dans certains quartiers que je connais bien, le contrôle au faciès reste la règle. Le colonialisme s’est toujours nourri du racisme.

La 9ème édition de la "Semaine anticoloniale, antiraciste" a donc connu un très grand succès. Compte tenu des nombreuses initiatives (près d’une centaine) elle s’est étalée cette année sur presque un mois. Mais ce qui est aussi assez significatif, c’est que les médias français, dans leur très grande majorité ont été très discrets pour en rendre compte. La presse africaine, algérienne,… en ont beaucoup plus parlé que la presse nationale de notre pays. Le lobby colonial reste bien réel
4 Manifestations importantes ont pourtant été très suivies :
-  La soirée inaugurale du 7 février rendant hommage à Gilberte et Henri Alleg
-  le "Salon Anti-colonial" des 15 et 16 février à la Belleviloise à Paris, avec un programme très chargé (débats, spectacles, expositions...)
-  Un rassemblement de soutien au peuple sahraoui, le 27 février pour interpeller le gouvernement un an après le procès inique qui a eu lieu, avec une demande d’audience au Ministère des Affaires Etrangères.
-  Une Manifestation, le 1er mars, Place de la République à Paris, pour dire non au colonialisme, non au racisme.

On constate que le Gouvernement est en difficulté sur toutes ces questions. "Le changement, c’est maintenant" est devenu "On continue comme avant" sans état d’âme. Le refus du Ministère des Affaires étrangères en était la première démonstration, la seconde c’est le 1er mars, La Préfecture de Police, sur directive gouvernementale, sous prétexte de la phobie que des incidents identiques à ceux qui s’étaient produits une semaine plus tôt, à refusé un défilé dans Paris, imposant un rassemblement statique. Pire, Comme depuis 6 ans, le collectif "Sortir du Colonialisme" (composé de dizaines d’organisations), devait terminer, ce samedi 1er mars 2014, sa "Semaine anticoloniale et antiraciste" (9ème édition) par une marche, déclarée en préfecture conformément à la législation et acceptée. Les précédentes éditions n’ont jamais connu le moindre débordement.
Or cette année, pour la première fois, la préfecture lui signifie le refus de son parcours allant de République à Ménilmontant en passant par Belleville, au motif que des "casseurs" l’infiltreraient (syndrome Notre Dame des Landes !) ainsi que le second allant vers Barbès pour arriver devant l’église St Bernard, sous prétexte de trouble à l’ordre public, imposant ainsi un rassemblement statique Place de la République.Alors qu’une partie des manifestants s’apprêtait, malgré tout, à sortir pacifiquement de la place, un fabuleux déploiement policier, totalement disproportionné, bloque le cortège et empêche les manifestants de quitter la Place de la République et les encercle sur le terre plein central par un cordon de plus de 200 CRS (avec casques, boucliers, bombes lacrymogènes, gilets pare-balles..), interdisant toute possibilité de sortie de ce périmètre jusqu’à 17 heures, et ce, malgré l’ordre de dislocation de la manifestation.

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Une sorte de camp de rétention provisoire à ciel ouvert a donc retenu comme otages des centaines de manifestant-e-s en plein Paris, en somme en garde à vue : Une punition pour velléité de "désobéissance" !!! Du jamais vu !!!!
Même sous la présidence de Chirac ou de Sarkozy, de telles pratiques d’intimidation et de répression contre ces initiatives ne s’étaient jamais produites. Le collectif "Sortir du Colonialisme", avec ses organisations signataires, dénoncent cet abus d’autorité d’un pouvoir qui se prétend socialiste et bafoue l’exercice du droit constitutionnel de manifester.

C’est ce même ministre de l’intérieur qui, depuis des mois, fait preuve d’une grande complaisance envers les forces réactionnaires et fascisantes qui occupent la rue.
C’est ce même gouvernement, avec son ministre des Affaires étrangères qui refuse de recevoir une délégation du collectif "Sortir du Colonialisme" pour évoquer la question du peuple sahraoui et des atteintes graves aux droits de l’homme au Maroc. Il faut vraiment que le colonialisme encore pratiqué aujourd’hui par la France officielle ne doit pas être dénoncé sur la place publique !!!

Des raisons complémentaires pour continuer ce juste combat.

La presse française, tous médias confondus, dans son immense majorité, n’a pas jugé utile d’évoquer ces questions de mise en cause du colonialisme et son corolaire le racisme.

Une autre initiative est prévue : un colloque sur le thème "Regards croisés sur la Guerre d’Algérie", avec la proposition d’un geste symbolique fort pour le 60ème anniversaire du déclenchement de cette guerre de libération.

Ce combat qu’Henri et Gilberte Allèg, ont mené pendant des dizaines d’années, courageusement, au prix de lourdes souffrances, mérite donc bien d’être poursuivi avec ténacité, énergie. c’est l’honneur de la France qui est en jeu.

(*) "Sortir du Colonialisme" est une association et un collectif fédérant 70 à 80 associations, partis politiques, organisations… réfléchissant, agissant contre les séquelles coloniales encore actuelles
(**) Alinéa retiré : "Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit."

P.S. :

Nous pensons qu’il serait nécessaire qu’un musée du colonialisme soit réalisé en France.

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