Un article de Elisabeth BECKER dans l’Est Républicain du 15 juin 2013
LES STACCATOS des marteaux-pilons et les grondements des bétonnières qui transforment actuellement Belfort en champ de mines suffiront-ils à étouffer les polémiques autour de noms de rue, place et parking ?
Après la place parking Robespierre dont l’arche d’entrée évoque à s’y méprendre la guillotine, le projet de place Yasser-Arafat dont la communauté israélite se serait bien passée, voilà que certains esprits chagrins reviennent sur la rue du colonel Jeanpierre (né à Belfort en 1912, mort en 1958 en Algérie) inaugurée le 29 mai 2009 par Jean-Pierre Chevènement. Pendant le mandat du présent maire, Etienne Butzbach. Qui n’avait pas cru bon se déplacer ce jour-là à la cérémonie.
"Comme la Gestapo"
La raison de cette absence ? Le maire ne tient pas à l’exprimer. Et botte en touche. Direction son "prédécesseur". Enfer et damnation, mais d’où viendrait cette gêne ?
N’était-il pas juste d’honorer cet enfant de la ville ? "Un officier brillant, un meneur d’hommes exceptionnel", clamait ce jour-là l’ex-ministre de la Défense de Michel Rocard (1988-1991), « résistant, déporté à Mauthausen, à nouveau sur le front en Indochine d’abord, puis en Algérie, plusieurs fois blessé. Il avait l’étoffe d’un héros et il est mort en héros".
Pour Henri Pouillot, historien du MRAP, la vérité est ailleurs. Bien cachée dans les Aurès et le djebel algérien où le lieutenant-colonel Pierre Jeanpierre dirigeait le1er REP (Régiment étranger de parachutistes). " Le 1er REP", dit-il, "a la très lourde responsabilité d’avoir généralisé la torture et les exactions".
Il précise que dans l’ouvrage "La Légion étrangère – 1831/1962" (Editions Fayard), le chercheur américain Douglas Porch raconte (p 670) : Au 1er REP, le colonel Jeanpierre, survivant de Mauthausen sous l’occupation allemande, rejette la remarque d’un vieux camarade selon qui les paras jouent le même rôle que naguère la Gestapo en France ; il insiste sur l’importance de sa mission : empêcher le terrorisme par tous les moyens, et propose à tout officier désapprouvant la torture de quitter le régiment, ce qu’aucun ne fait".
Et plus loin dans le même ouvrage (p 692) : "Je vous donne huit jours pour me sortir quelque chose", dit le colonel Jeanpierre à ses commandants de compagnie rassemblés. Dont Paul Aussaresses. "[…]Je considère cela comme une mission comme une autre […] Chaque officier doit être soucieux d’obtenir des renseignements. S’il en est autrement, je dois considérer que certains n’ont pas leur place dans mon régiment".
De la même façon que Jean-Pierre Chevènement ne pouvait ignorer ce "détail" de la vie du héros, ce dernier ne pouvait ignorer qu’il comptait dans ses rangs d’anciens Waffen SS. D’après Michael Meiers, Bernois d’origine allemande et né à Belfort, qui a eu accès aux minutes de procès de Suisses ayant combattu aux côtés des nazis, "il est temps que l’on s’occupe de cette affaire de rue du colonel Jeanpierre".
"En Algérie", dit-il, "les légionnaires étaient au nombre de 30.000. Les deux tiers étaient allemands et les Waffen SS portaient tous le tatouage de leur groupe sanguin. Les recruteurs ne pouvaient ignorer l’origine des recrues". Le commandant du 1er REP avait donc sous ses ordres des hommes qu’il trouvait autrefois haïssables…
Jean-Pierre Chevènement pouvait-il l’ignorer ? On en doute. Ne disait-il pas à l’inauguration de la plaque : "Les gouvernements décident, les militaires accomplissent". Par tous les moyens ? Henri Pouillot, Michael Meiers, la Ligue des droits de l’Homme, le PCF lui ont réclamé la création d’une commission indépendante pour confirmer ou invalider ce choix.
Sans aucune réponse de sa part.
Précisions
A l’époque de l’inauguration de la rue, Henri Pouillot et Michael Meiers ne disposaient pas de témoignages des exactions du 1er REP sous le commandement de Jeanpierre. Or depuis 2012, Meiers a pu se procurer les archives générales suisses, interdites depuis 50 ans. Il a pu faire copie des témoignages judiciaires des anciens légionnaires helvètes (encore en vie, mais dont les noms ont été noircis) ayant servi au 1er REP sous les ordres du Belfortain.
La position de Monsieur Jean-Pierre Chevènement est d’autant plus incompréhensible d’avoir voulu honorer également la Légion Étrangère, à l’occasion de cette inauguration que, dans son livre "Le courage de décider", publié en janvier 2002, il écrivait page 23 : "Mon poste dans le Bled, à un endroit dénommé Aïn Cheurfa, entre Saint-Denis du Sig et Sidi Bel-Abbès, était un petit poste militaire totalement isolé. On y avait mis quatre soldats européens et quatre soldats "musulmans". Le lendemain du cessez le feu, revenu à Saint-Denis du Sig, je découvris au petit matin les cadavres de plusieurs de mes moghaznis sauvagement assassinés. Le temps d’évacuer les survivants et les familles dans un indescriptible désordre, la Légion, venue de Sidi Bel Abbes, entreprit de "rétablir l’ordre". Le carnage, au total, fit cent trente morts et des centaines de blessés."
Cherchez la logique !!!!