A la veille du voyage du Président français au Maroc le secrétaire général du Front Polisario et président de la République arabe sahraouie démocratique s’adresse à François Hollande.
Article paru dans le journal El Watan du 2 Avril 2013
Bir Lehlou, le 31 mars 2013
A la veille de votre voyage au Maroc, j’ai considéré opportun, voire comme une obligation morale, de vous adresser cette lettre, franche et sincère, tout en vous exprimant ma confiance que vous saurez comprendre sa motivation, ainsi que son objectif comme étant un appel à la paix et une invitation à la réflexion formulés à l’attention d’un grand homme d’État, comme Votre Excellence, ayant une capacité extraordinaire de réflexion, condition fondamentale pour la prise de toute décision juste.
La question du Sahara occidental est, dans son essence, une question de justice à laquelle la France d’aujourd’hui, sous votre direction, ne peut rester insensible, particulièrement en ces moments historiques où des peuples et des nations de notre environnement afro-arabe, dans leur recherche de la justice, se tournent vers la France et espèrent que le sens de la justice, valeur inséparable de la dignité de l’être humain, a toujours en la France, un partenaire sûr et conséquent.
Le peuple sahraoui s’est inspiré, depuis le début de son combat pour l’indépendance, de la trajectoire, des efforts, des souffrances et de l’exemple de dévouement à la libération de la France, incarnés par le général de Gaulle. Une conviction dont il ne s’est jamais départi. Son immense contribution à la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples et nations qui faisaient partie de l’Empire français est un héritage précieux sur lequel reposent la grandeur et la respectabilité de la France. Tragiquement, en 1975, le processus de décolonisation du Sahara occidental, qui avait été défini par de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU et par la Cour internationale de justice fut brutalement détourné par un acte de force contraire à la légalité internationale.
La position adoptée par la France devant ces événements nous avait franchement surpris et déçus parce que nous pensions qu’elle ne reflétait pas les meilleures traditions et valeurs républicaines qui ont fait de la France une nation inspiratrice des luttes des peuples pour la justice et la liberté, et le berceau de la notion même des droits de l’homme. La puissance occupante de notre pays a exploité de manière excessive cette position qui, nous devons le dire avec franchise, a causé des souffrances à un petit peuple pacifique qui n’aspire qu’à vivre libre et souverain dans sa patrie, en paix avec tous les pays du monde.
Plus grave, cette instrumentalisation abusive a causé des dommages considérables à l’ensemble de la région qui n’a connu, depuis lors, ni la stabilité ni l’harmonie nécessaires pour relever les défis du présent et de l’avenir. Nous pensons toutefois, Monsieur le Président, qu’il n’est jamais tard pour réviser une position qui est perçue aujourd’hui comme un obstacle pour les intérêts bien compris de la France, qui sont ceux de la paix et la justice, dans la mesure où ces valeurs constituent une puissante motivation pour s’assurer la coopération et l’amitié de toutes les nations et de tous les peuples de notre région.
Les leçons tirées des événements en cours dans la région voisine du Sahel confirment cette vérité. Votre élection à la Présidence de la République a ouvert la voie à la France pour qu’elle joue un rôle décisif dans la recherche d’une paix juste et durable au Sahara occidental, sur la base des résultats et des efforts investis par l’ONU et qui ont abouti à la confirmation du droit du peuple sahraoui à l’ autodétermination et à la nécessité pour ce droit d’être exercé à travers un référendum organisé et supervisé par les Nations unies en coopération avec l’Union africaine. Dans ce cadre, la France peut compter sur la coopération de la Direction politique sahraouie pour engager une réflexion sereine dans le but de faciliter à nos voisins marocains une sortie honorable et bénéfique.
Compte tenu de la doctrine de l’ONU et de la position de l’Union africaine, la question du Sahara occidental, en tant que problème de décolonisation, s’articule autour de deux principes fondamentaux. Il s’agit, d’un côté, du droit à l’autodétermination des peuples et pays coloniaux élevé par l’ONU au rang de jus cogens. D’autre part, le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la période coloniale, qui a été consacré par l’OUA comme principe fondamental à même de garantir la sécurité du continent.
C’est la validité et la pérennité de ces deux principes qui expliquent le fait que les prétentions de souveraineté marocaine sur le Sahara occidental n’aient été reconnues par aucun pays dans le monde. Ces deux principes ont été une constante dans la vision décolonisatrice de la France, comme cela a été prouvé naguère dans le cas de notre voisine la Mauritanie et aujourd’hui dans le cas du Mali. Au cours du processus de négociations sahraoui-marocaines, dirigées l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies, Christopher Ross, nous avons souligné que la sortie honorable pour toutes les parties consiste à demander au peuple sahraoui de s’exprimer sur son avenir. Il s’agit donc de faire confiance aux Nations unies, dont la capacité et l’expérience dans des cas similaires, comme ceux de la Namibie et du Timor oriental, constituent une référence pour dynamiser le processus référendaire au Sahara occidental sur lequel le Maroc et le Conseil de sécurité de l’ONU et, donc, la France, s’étaient solennellement engagés.
Cet engagement est aujourd’hui la raison d’être de la Minurso et la raison d’être du cessez-le-feu en vigueur. Le peuple sahraoui a le droit de choisir pacifiquement son avenir à travers les urnes de l’ONU. Ce droit fondamental est irrévocable et inaliénable. Si le référendum conduit à l’intégration au Maroc, le F. Polisario a proclamé dans de nombreuses occasions qu’il respectera la décision du peuple sahraoui. Si, par contre, il conduit à l’indépendance, nous avons souligné à nos voisins marocains que l’indépendance conduirait à l’établissement de relations bilatérales qui peuvent et doivent être privilégiées et auront, en même temps, le mérite de propulser le processus d’intégration maghrébine.
L’existence d’énormes ressources naturelles dans notre pays et dans la région servirait pour voir le futur avec optimisme et offrir des alternatives sérieuses et dignes aux générations maghrébines à même de les protéger des chants de sirène de l’extrémisme. Un Maghreb économiquement intégré et politiquement démocratisé, où grands et moins grands ont leur place, à l’instar du processus d’intégration européenne, ne peut que renforcer la paix et la sécurité internationales.
Cette feuille de route est possible, et a le potentiel de pouvoir attirer le soutien de la communauté internationale. Elle est la meilleure alternative aux velléités expansionnistes que personne dans notre région n’est disposé à accepter. Elle est la meilleure option alternative à un dangereux statu quo, à la violation flagrante des droits de l’homme et à la méfiance régionale. Elle est, enfin, la meilleure option pour le Maghreb, pour la France et pour l’Europe. J’espère, Monsieur le Président, que cette vision et cette feuille de route sauront recevoir toute votre attention. Vous pouvez être sûr de notre coopération pour la paix. Tout en vous souhaitant plein succès dans votre noble mission, je vous prie, Monsieur le Président, de croire à l’expression de ma très haute considération.
Mohamed Abdelaziz, secrétaire général du Front Polisario et Président de la République Arabe Sahraouie Démocratique
Commentaire personnel : Il serait temps que la diplomatie française condamne le procès du 17 février dernier, et exige du Roi du Maroc la libération immédiate, ans condition des 24 prisonniers.
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