Inaugurée le 8 Février 2007 par le Maire de Paris
Paris : Le 8 février 2007, 45 ans après le crime d’état commis, Bertrand Delanoé Maire de Paris, Bernard Thibaud Secrétaire Général de la CGT et Nicole Borvo Sénatrice de Paris Dirigeante nationale du PCF ont inaugure cette place du 8 Février 1962.
Monsieur le Maire de Paris,
Madame l’Adjointe au Maire,
Monsieur le Secrétaire Général de la CGT,
Monsieur le Maire du 11ème arrondissement,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les membres du Comité Charonne,
Chers amis,
En dénommant aujourd’hui ce lieu "place du 8 février 1962", la municipalité accomplit un acte de haute valeur symbolique.
Comme elle l’a fait en nommant le massacre des algériens le 17 octobre 1961, Pont St Michel.
Ces actes contribuent à la reconnaissance de crimes d’État que l’État se refuse toujours à reconnaître officiellement.
Je ressens une intense émotion à évoquer ce jour du 8 février 1962. J’étais une toute nouvelle militante des jeunesses communistes, loin de Paris, mais l’horreur de cette fin de journée s’est vite propagée. Je n’en oublierai jamais le choc.
En février 1962, la guerre d’Algérie durait depuis sept ans. Malgré un million de morts algériens et toutes les horreurs dont on reparle aujourd’hui, malgré les milliers et milliers de jeunes soldats français entraînés dans cette guerre et qui y ont perdu la vie, il était de plus en plus clair qu’il n’y aurait pas de victoire de " l’Algérie française ".
La seule solution c’était la reconnaissance du droit du peuple algérien à vivre indépendant. C’est ce qu’a fini par penser le Général de Gaulle et avec lui, plus ou moins nettement, une partie des milieux dirigeants du pays.
Des forces puissantes, politiques dans quasiment tous les partis et dans les états-majors de l’armée, et de la police, et un courant fasciste montant, résistent à cette évidence.
L’OAS née dans l’extrême droite en Algérie s’implante et se manifeste en France.
Le 7 février 1962, à Paris et dans la banlieue, elle organise dix attentats contre des personnalités, dont l’écrivain Vladimir Pozner, grièvement blessé, le dirigeant et élu communiste Raymond Guyot, le ministre André Malraux. Dans la maison de Malraux, une petite fille, Delphine Renard, est touchée par la bombe. L’image bouleverse la France. C’est le moment des choix.
C’est dans ces conditions que la C.G.T., la C.F.D.T., l’U.N.E.F., des sections de la F.E.N. et du S.N.I., le Parti communiste, le P.S.U., les jeunesses communistes et le Mouvement de la Paix lancent un appel à manifester le 8 février à la Bastille. La manifestation est interdite mais la Préfecture de Police fait savoir qu’elle n’interdira pas ce lieu.
Un peu partout au cœur de Paris, des dizaines de milliers de manifestants sont dans la rue. 60.000 dira l’Humanité. Les militants les plus progressistes de tous milieux et, massivement, les militants communistes et cégétistes sont là.
Vers 19 h 30, le dernier cortège est ici sur le boulevard Voltaire, au métro Charonne. Les organisateurs appellent à la dispersion, quand soudain ce fut l’horreur. La police, les brigades d’interventions de l’époque, chargent sans pitié. Il vont jusqu’à jeter sur des manifestants entassés dans l’escalier qui mène au métro, des plaques de fontes arrachées des arbres. La terreur pour l’exemple.
Peu à peu dans la soirée se dégage le terrible bilan : 250 blessés, 8 morts, un neuvième mourra après deux mois de coma. Permettez-moi de dire une nouvelle fois leurs noms : Fanny Dewerpe, Anne-Claude Godeau, Suzanne Martorell, Daniel Fery, il avait seize ans, Jean-Pierre Bernard, Edouard Lemarchand, Hyppolite Pina, Maurice Pochard et Raymond Wintgens. Neuf militants de la C.G.T, huit étaient communistes.
Au lendemain l’Humanité, Libération qui appellent à la riposte sont censurés et le Ministre Roger Frey dénonce les manifestants accusés d’avoir attaqué la police.
La population française est sous le choc. Le vendredi 9 février, deux millions de personnes arrêtent le travail.
Le mardi 13, jour des obsèques, un million de personnes leur rend hommage.
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D’autres évènements vont suivre, des morts s’ajouteront aux morts de l’autre côté de la Méditerranée. Mais l’histoire a tranché. Le 1er juillet 1962 l’Algérie devient indépendante. C’est le fait d’un peuple qui s’est battu pour affirmer comme universel, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
C’est un honneur pour le PCF que je représente ici de rappeler que dans cette période vitale de lutte contre la guerre d’Algérie, le journal l’Humanité, a été poursuivi 209 fois et saisi 27 fois. Que de jeunes appelés communistes se dressant contre la guerre, ont connu la prison. Que des travailleurs ont connu la répression dans les entreprises, parce qu’ils combattaient le colonialisme.
Merci à tous ceux qui depuis des années ont permis par un travail de mémoire de rappeler ce que fut l’atrocité de la répression. Merci à Henri Alleg, merci à l’historien Alain Dewerpe et merci à ceux qui, comme Jean-Luc Einaudi, ont ouvert les yeux sur le 17 octobre 1961, ce jour où des dizaines de milliers d’algériens descendus pacifiquement dans la rue, avec femmes et enfants, pour protester contre le couvre feu, ont été les victime d’une répression sauvage.
Les algériens jetés dans la Seine sont dans notre cœur mêlés à ceux de Charonne. Le même Préfet s’appelait Maurice Papon.
Un peuple ne peut pas vivre sans mémoire.
Nous savons malheureusement que les scories de la colonisation sont toujours là. Des nostalgiques de l’O.A.S. célébrent au grand jour dans le Sud-Est de la France, Jouhaud ou Salan, et pire, une majorité de parlementaires a fait voter le 23 février 2004, quarante deux ans après Charonne, une loi édictant que les programmes scolaires doivent "reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer… "
La "fracture coloniale" est présente dans les discriminations quotidiennes, que les jeunes générations dont les parents et les grands parents étaient originaires de pays colonisés, ne supportent plus.
Des forces hélas existent qui attisent les divisions, les communautarismes, pour ethniciser des conflits d’ordre social, mais s’exprime aussi l’aspiration à tirer les leçons de toutes les barbaries et celles en premier lieu qui ont marqué l’histoire française et européenne, et cela on le doit beaucoup aux combats menés par les forces progressistes durant des années, de ceux qui hier eurent le courage de ne jamais céder.
Ici, aujourd’hui, je formulerai le vœu que cette aspiration rassemble toute la jeunesse
La vérité doit être dite sur le 8 février 1962. La responsabilité de l’État doit être effectivement reconnue. Nous le devons aux neuf qui sont morts, comme nous devons à tous les jeunes français d’aujourd’hui la vérité sur la guerre l’Algérie et l’histoire coloniale. Ensemble ils doivent combattre la xénophobie, les racismes les discriminations.
Oui, nous restons fidèles aux idées de progrès, au combat pour l’égalité des peuples, pour vivre ensemble.
En portant ces valeurs, nous restons fidèle à ceux de Charonne.