Cette loi n’est pas un accident de parcours
C’est l’aboutissement d’une consécration voulue. Initiée par Philippe Douste Blazy, son objectif était de graver dans le marbre tout un négationnisme de l’histoire, par une législation française, en utilisant les relents de cette guerre d’Algérie.
L’alinéa 2 de son article 4, qui a finalement été retiré du texte législatif, mais reste conservé en directive, était certes le plus marquant. Il disait : "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord…"
Cette loi, au départ présentée comme une démarche de réparation, principalement au profit des harkis, a complètement été détournée de cet objectif initialement annoncé. Au moins 4 articles qui y figurent toujours concrétisent cette volonté de réhabilitation du colonialisme.
L’article 1 dit "La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la Souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des forces supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des évènements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leur famille, solennellement hommage."
L’article 2 prévoit que l’hommage rendu aux combattants morts pour la France en Afrique du nord sera le 5 décembre, date qui n’a aucune signification historique, seulement celle disponible sur l’agenda du Président de la République, en 2002, pour inaugurer le Mémorial situé Quai Branly à Paris. Seule la date du 19 mars peut avoir un sens, comme celles 8 mai ou le 11 novembre qui sont les dates de commémoration correspondant à la signature officielle concrétisant la fin des conflits.
L’article 3 constitue "une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie…" Le rapport qui a été remis au Premier Ministre, début 2006, mais qui n’est pas encore rendu public, semble bien, selon les échos connus, aller dans ce sens de la valorisation du rôle "positif" que la France aurait mené dans ses colonies…
L’article 4 conserve le premier alinéa "Les programmes de recherche universitaires accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite…" ce qui sous entend dans ce contexte cette même valorisation "positive". Dans les articles qui suivent une série de dispositions sont enfin prises en faveur des "anciens supplétifs ou assimilés", bien que des restrictions discriminatoires excluent certains récipiendaires potentiels.
L’article 13 permet d’indemniser les anciens activistes de l’OAS, ceux qui ont été emprisonnés ou se sont exilés afin de fuir la justice de notre pays pour leur action terroriste contre les personnes ou contre la République Française qu’ils ont tenté de renverser. Ces indemnités ne sont pas imposables. Dans le décret d’application, le gouvernement a désigné un certain Athanase Georgopoulos exilé 9 ans dans l’Espagne franquiste (Président de l’ADEP : "Association Nationale des Anciens Détenus et Exilés Politiques de l’Algérie Française") comme membre de la commission d’attribution des indemnités définies dans le cadre de cette loi. Ce personnage instruira donc son propre dossier. Le gouvernement interpellé justifiera le bien fondé de cette désignation du fait de l’amnistie prononcée à l’encontre des anciens de l’OAS.
Cette loi, initialement présentée comme technique, devant simplement réparer une injustice, a été amendée et a évolué pour devenir un texte officiel de reconnaissance du colonialisme comme une chose positive, discutée presque en catimini. La très grande majorité des parlementaires n’y pas porté une attention particulière, même les élus socialistes ou communistes. Des associations de Harkis ont contesté, dès le début, cette dérive les instrumentalisant pour faire passer d’autres objectifs, mais elles n’ont pas été entendues.
Ce n’est qu’à sa promulgation que des historiens se sont révoltés face au rôle qu’on entendait leur faire jouer dans ce domaine. A partir de ce moment là, une campagne a démarré autour de la Ligue des Droits de l’homme et s’est très vite élargie, pour contester l’idéologie qu’allait engendrer cette loi.
Le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les Peuples) a coordonné un collectif pour le quel j’ai rempli la fonction de secrétariat. Plus de 60 organisations ont donné leur signature pour demander l’abrogation de cette loi et avaient programmé un rassemblement devant l’Assemblée Nationale et une manifestation sur Paris.
Devant cette montée progressive de la prise de conscience collective et l’ampleur de la protestation, dans un premier temps, le parlement a été saisi, mais il a confirmé son vote. C’est alors que Jacques Chirac, le Président de la République, se rendant compte que l’opinion publique ne pouvait accepter ce négationnisme historique, a décidé de demander au Conseil constitutionnel de "déclasser" cet alinéa qui sera donc retiré de la loi. Cette décision, même limitée dans son ampleur, est très importante : elle constitue une remise en cause d’un vote parlementaire par un courant populaire s’exprimant avec force. Elle a désamorcé en partie ce mouvement.
Cependant une trentaine d’organisations maintenaient l’appel au rassemblement devant l’Assemblée Nationale, pour demander l’abrogation complète de cette loi, et la réécriture d’un texte d’indemnisation devant prendre en compte également ceux toujours oubliés, ceux qui ont été condamnés, pour s’opposer à la Guerre d’Algérie, à la torture… : en un mot, ceux qui ont été l’honneur de la France dans cette période. A ce rassemblement du 23 Février 2006, je concluais mon intervention publique de coordonnateur par ces mots : "Un premier recul a été imposé au pouvoir politique par le mouvement d’opinion publique condamnant la loi du 23 Février 2005, il reste maintenant à tout faire pour que le colonialisme entre et reste au musée de l’histoire. Espérons que nous sommes assez près de l’hémicycle de L’Assemblée Nationale pour que les parlementaires entendent notre appel pour l’abrogation de cette loi de la honte. Le combat pour les droits de l’homme reste d’une réelle actualité, et si nous voulons que les mots LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ écrits aux frontons de nos mairies gardent un sens, une très forte mobilisation citoyenne est encore indispensable."
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