Monsieur le Président
Témoin de la Guerre de Libération de l’Algérie, comme appelé (de juin 1961 au 13 mars 1962), affecté à la Villa Susini, j’ai eu l’occasion de constater de très nombreuses exactions commises dans cette période par l’Armée Française (en particulier la torture), des crimes contre l’Humanité, des crimes de guerre, des crimes d’état dont la France porte la terrible responsabilité.
Je suis donc sidéré que le Président de la République puisse, dans un discours, falsifier à ce point la réalité historique. Je ne peux pas croire en effet un seul instant qu’un dossier sérieux n’ai pas été préparé par vos services de l’Elysée à votre intervention, puisque vous n’avez pas vécu cette période.
C’est en arrivant en Algérie que j’ai découvert, contrairement à ce qu’on avait enseigné à l’école primaire et au lycée que les départements d’Algérie n’étaient pas tout à fait des départements typiquement français : il y régnait un profond racisme issu du colonialisme (contrairement à ce que vous avez pu affirmer dans votre allocution)
Autre « erreur » dans votre intervention : ce ne sont pas 1.000.000 de rapatriés (cela aurait été la totalité) qui sont venus en Métropole, mais seulement environ 800.000. Sur les 200.000 restés en Algérie, malgré le temps qui a passé et donc les disparitions naturelles, il restait encore plus de 30.000 ex-pieds-noirs dans ce pays en 2014 : j’ai eu le plaisir d’en renncontrer un certain nombre lors de mon voyage à Alger à ce moment-là.
Entre juin 1961 et mars 1962, à Alger, j’ai donc pu constater aussi, de ce fait, par moi-même, l’action quotidienne de l’OAS dans cette période où j’ai miraculeusement échappé à 2 de leurs attentats. A partir des archives que j’ai pu consulter au Fort de Vincennes (il y a près de 20 ans) j’avais calculé que dans une seule partie d’Alger (Belcourt, Clos Salambier, Diar El Maçoul, Le Ruisseau...) il y avait en moyenne 7 attentats par jour dont la moitié au moins du fait de l’OAS.
Au sujet des répressions exercées à Oran, le 5 juillet 1962, là aussi, vous avez « oublié » un certain nombre de points importants. Entre le cessez-le-feu du 19 mars et le 5 juillet, l’OAS a continué de multiplier les attentats et lorsque les troupes de l’ALN sont entrées dans la ville, elles se sont heurtées à des manifestations d’une rare hostilité. Des échos évoquent même des tirs, des provocations (très proches de celles du 26 mars précédent à Alger)... ce qui est fort plausible, dans la logique de l’action de l’OAS, mais sur ce point, je n’ai personnellement pas de documentation concrète pouvant le prouver. Ce qui est « étonnant » c’est que vous demandez à l’état algérien de reconnaître sa responsabilité à cette occasion alors que face aux crimes commis au nom de la France envers le peuple algérien vous vous y opposez toujours !!!
Quant à la « fusillade de la rue d’Isly » je me dois de d’affirmer que vous falsifiez grossièrement l’histoire : j’ai pu de nouveau consulter les archives du Fort de Vincennes, il y a un peu plus de 10 ans, et tout particulièrement un gros dossier concernant le 26 mars à Alger (références d’alors : 1H2703-D9)
Certes le 4ème RTA a ouvert le feu sur les manifestants MAIS vous « oubliez (?) » de mentionner que ces tirs n’ont été qu’une réplique aux tirs du commando de l’OAS posté sur des balcons et des toits de la Rue d’Isly et alentours.
Voici le plan que j’ai relevé mentionnant l’emplacement de ces tireurs. La copie de l’original que j’ai pu consulter, et reproduire ainsi, a certainement dû vous être transmise.
Ne pas évoquer, rappeler, dans quelle condition s’est déroulée cette manifestation ne pas évoquer cette provocation de ce commando de l’OAS, c’est un mensonge par omission inqualifiable, une véritable falsification de l’histoire. Déclarer en effet que cette fusillade a « un caractère impardonnable pour la République » exonère totalement la responsabilité de ce commando, alors qu’on pourrait légitimement considérer que le 4ème RTA a réagi en légitime défense.
Après la cérémonie du 26 mars dernier où votre ministre a déposé une gerbe au Quai Branly en votre nom, honorant ainsi déjà l’OAS, vous récidivez.
Ici, votre ministre discutant avec les nostalgiques de l’OAS et Algérie Française après le dépôt de gerbe.
Or, l’OAS, dès sa création s’est attaquée aux valeurs de la République. Ci jointe la note « Ordre du jour N°5 » du 15 septembre 1961 (archives militaires de Vincennes) qui définit le caractère de cette organisation : « De récentes opérations de police viennent de prouver à l’évidence que les organisations activistes qui se disent O.A.S. sont en réalité des organisations subversives visant, par le terrorisme et la guerre civile, à renverser les institutions de la république... »
Monsieur le Président, auriez- vous oublié que l’OAS est responsable de milliers de victimes assassinées dont des fonctionnaires, des commissaires de police, des maires, et tenté des attentats contre des ministres et à 2 reprises contre le Président de la République d’alors : le Général De Gaulle.
On ne peut donc comprendre le sens de votre intervention que comme une volonté de séduction des nostalgiques de l’Algérie Française et de l’OAS, souvent très attirés par les thèses de l’extrême droite raciste, zémourienne ou lepéniste en vue des présidentielles. Est-ce parce que vous avez encore en mémoire votre phrase lancée à Toulon en 2017, en revenant d’Alger, lors de l’un des meetings de votre campagne électorale présidentielle où vous aviez déclaré : « Je vous ai compris », ce qui a provoqué le départ de nombreux participants et désormais, vous désirez « corriger » !!!
Monsieur le Président de la République, vous semblez utiliser le rapport de Benjamin Stora pour instrumentaliser la mémoire de différentes catégories de témoins de cette période dans la perspective du 60ème anniversaire de la fin de la Guerre de Libération de l’Algérie à des fins politiciennes remettant en cause les valeurs fondamentales de notre République en honorant de fait et en ne condamnant pas fermement les agissements de l’OAS.
A quand la reconnaissance et la condamnation des crimes contre l’Humanité, des crimes de guerre, des crimes d’état dont la France porte la terrible responsabilité dans cette période ? C’est pourtant la seule chose nécessaire pour que la France retrouve son aura de pays défenseur des droits de l’homme et permette entre l’Algérie et la France, et entre leurs peuples, de renouer des liens d’amitiés tant nécessaires pour toutes ces familles qui conservent tant de racines sur les 2 rives de la Méditerranée.
C’est fort dépité, tellement je suis sidéré, Monsieur le Président, que je vous adresse mes salutations respectueuses pour l’institution que vous représentez.
Henri POUILLOT
Ancien Combattant pendant la Guerre de Libération de l’Algérie, militant antiraciste, anticolonialiste, défenseur des droits de l’homme
PS : Comment se fait-il que, dans votre affirmation de vouloir reconnaître TOUTES les souffrances de ces victimes de la Guerre de Libération de l’Algérie, vous ayez invité à s’exprimer une victime des attentats du FLN et « oublié » une de celles de l’OAS (dont certaines étaient aussi des pieds-noirs) ?
Quand, toutes les victimes des attentats de l’OAS auront-elles aussi le droit à être reconnues « mortes pour la France » ?
Y aurait-il plusieurs qualités de victimes ?
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