Henri Pouillot était de nouveau, mardi dernier, à la barre du tribunal de Marseille au sujet de l’affaire de la disparition de Maurice Audin en juin 1957. Le militant de la cause algérienne était poursuivi pour diffamation par le général Maurice Schmitt. L’affaire a été mise en délibéré et le jugement sera rendu le 3 novembre prochain.
Pourquoi aujourd’hui, bientôt 60 ans après sa disparition, continuer de parler de l’affaire Audin ? Pourquoi pour vous est-ce important ?
La vérité sur la disparition et l’assassinat de Maurice Audin n’est toujours pas connue, même si quelques éléments ont progressé. On ne connaît pas avec exactitude qui en est l’auteur ni ce qu’est devenu le corps. Sur ces différents éléments, il y a des informations, quelques pistes qui ont un peu avancé.
Il y a en particulier les documents qu’a récupérés la journaliste Nathalie Funès à Stanford, en Californie, où elle a découvert les carnets du colonel Godard indiquant un certain nombre de choses. Il y a les confidences d’Aussaresses qui complètent ce tableau et enfin le communiqué de l’Elysée du 17 juin 2014 qui, dans une phrase importante, indique qu’en fonction des témoignages, Maurice Audin ne s’est pas évadé mais qu’il est mort en détention.
Cette version remet en cause l’aspect de l’évasion, restée jusqu’à présent la version officielle. C’est important que cela soit remis en cause au plus haut sommet de l’Etat. Par contre, ce qui est dommage, c’est qu’on ignore qui sont les témoins qui se sont exprimés à ce sujet et les documents concordants dont parle alors l’Elysée. Pour le reste, on ignore comme il est mort. Une crise cardiaque à 25 ans, ou s’il a été assassiné comme c’est vraisemblable.
Vous, à titre personnel, qu’est-ce qui vous anime jusqu’à devoir répondre devant le tribunal au sujet de cette affaire Audin ?
Depuis mon passage à la villa Sesini où j’ai exercé de fin juin 1961 à mars 1962, le problème de la torture est pour moi un sujet important. En mars 2014, j’étais un des 171 signataires d’une pétition exigeant la vérité sur la mort d’Audin. Pour moi, il est capital d’éclaircir complètement ce dossier.
Que pensez-vous justement de l’attaque frontale du général Schmitt qui vous a poursuivi par trois fois devant les tribunaux ? C’est le dernier rideau de ceux qui veulent maintenir l’opacité ?
D’une part Schmitt s’est toujours présenté comme le porte-parole, le représentant officiel des officiers durant la Guerre d’Algérie. C’est lui qui était intervenu es-qualité dans les débats de 2002 après le film de Patrick Rotman sur cette question, L’Ennemi intime, violences dans la guerre d’Algérie) et il est intervenu à d’autres reprises. Il a publié par la suite le livre Alger 1957 : une victoire sur le terrorisme, pour donner sa version de la Bataille d’Alger et en particulier sa participation dans cette phase. Ensuite, son deuxième livre, publié en 2008, Deuxième Bataille d’Alger, la bataille judiciaire, où il décortique les procès qu’il a eus, dont celui contre moi à Marseille, en 2004.
Pensez-vous que le général Maurice Schmitt sait beaucoup plus de choses que ce qu’il veut bloquer via les appels aux tribunaux, contre vous notamment ?
Oui, cela me paraît évident. Je pense que compte tenu de ma lettre ouverte adressée à M. De Villiers qui est le chef d’état-major, à la suite justement du communiqué de François Hollande en juin 2014, au sujet de témoins qui auraient apporté des éléments probants sur la fin d’Audin, je cite trois personnes concrètes, dont Schmitt qui, s’il n’est pas impliqué dans l’assassinat puisqu’il était alors en fonction à Sidi Ferruch, donne des éléments qui laissent entendre, dans ses livres, qu’il connaît particulièrement bien, de par ses contacts, ce qui s’est passé.
Quand il prend ses fonctions d’officier chargé du renseignement et de l’action, le 20 juillet 1957, il doit enquêter sur les attentats des 3 et 8 juin 1957. Il se trouvait donc à Alger à ce moment là puisqu’il écrit, en dédicace de son livre : « A la jeune fille que j’ai vue mourir devant moi le 3 juin 1957, près du carrefour de l’Agha, près d’un lampadaire qui venait d’exploser. » Il était donc à Alger, même s’il n’était pas au moment précis chargé d’enquêter sur les attentats.
Il le sera dès son entrée en fonction, en juillet, alors qu’Audin est arrêté le 11 juin et disparaît officiellement le 20 juin. Dans ses livres, il s’en prend aux « communistes traîtres » qu’il accuse d’être les concepteurs des bombes pour le FLN. Donc en fonction juste après, il serait étonnant qu’il n’ait pas été au courant de l’arrestation d’Audin et d’Alleg. Puisqu’il rencontrait régulièrement les autres officiers du Renseignement.
Clairement, le général Schmitt vous reproche d’avoir mis cela au clair…
Oui et de l’avoir cité dans ma lettre ouverte, accusé de se taire et de ne pas dire à la famille Audin ce qui s’est passé.
Qu’est-ce qu’il s’est dit au tribunal de Marseille ?
On a beaucoup parlé de cette démonstration qu’il donne dans ses deux livres, comme quoi il était bien placé pour enquêter sur tous les attentats commis en Algérie ; on a abordé aussi son passé de tortionnaire puisque de nombreux témoignages l’attestent. Sur ce sujet, j’avais écrit dans mon livre sur la torture, en 2004, qu’il ne pouvait pas ne pas savoir. Je considère que j’étais de bonne foi compte tenu des éléments dont je dispose, y compris ceux qu’il donne corroborant sa participation à la Bataille d’Alger.
Comment, selon vous, va se conclure le délibéré du 3 novembre sur cette dernière assignation ?
A la première assignation, j’avais gagné en première instance et en appel. A la deuxième, à Marseille j’avais perdu en première instance et en appel, à la suite du premier où, interrogé par les journalistes à la sortie du tribunal, j’avais exprimé de façon un peu maladroite une vérité que le général Schmitt a considérée comme diffamatoire. Là, dans ce troisième procès, on est confiants. Toute la jurisprudence émet des critères pour qualifier la diffamation.
Quel est votre sentiment sur le fait que 60 ans après, ce type d’affaire conduise encore devant la barre, à une époque où l’on parle d’éclaircir les zones sombres de notre histoire ?
Je voudrais dire qu’il n’y a plus de doute sur le responsable de la mort d’Audin. Très vraisemblablement, c’est le lieutenant Garcet qui habite en Bretagne. Par contre, ce qui reste comme question, c’est est-ce sur ordre de Massu comme l’a laissé entendre Aussaresses. C’est là où l’armée doit répondre de façon concrète.
Tant qu’il y aura des témoins qui pèseront pour taire la vérité, pourra-t-on en savoir plus, selon vous ?
On saura peut-être. Cela dépend du degré de la bataille d’exigence de vérité sur ces questions. Je voulais d’ailleurs parler d’un aspect important. Suite à mon déplacement à Alger et des entretiens accordés à El Watan, j’avais parlé du lieu où je pense que devrait se trouver le corps de Maurice Audin. Il y a eu une réaction du ministère des Moudjahidine qui s’est intéressé à l’ensemble de ces révélations, qui apportait une piste sur la possible inhumation du corps supposé de Maurice Audin, à Koléa. Je serais curieux de savoir ce qui a été fait depuis.
Walid Mebarek
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