Intervention de Armelle Bothorel, fille du Général De Bollardière le 29 Novembre 2007 lors de l’inauguration du "Carrefour Général Jacques Pâris de Bollardière" à Paris
Inauguration du Carrefour Général Jacques Pâris de Bollardière
Avenue de Suffren, avenue de la Motte Piquet
Jeudi 29 novembre 2007 à Paris
Monsieur Le Maire de Paris, Messieurs les Maires d’Arrondissements,
Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs.
Au nom de la famille de Jacques Pâris de Bollardière, et tout particulièrement de son épouse Simone de Bollardière, au nom de tous ceux qui ont combattu aux côtés de mon père, dans les sombres heures de notre pays, au nom des personnes sur les deux rives de la Méditerranée pour lesquels l’engagement de mon père a été une lumière d’espérance, au nom de tous ceux qui avec lui ont ouvert les voies d’une résolution non-violente des conflits, j’adresse tous mes remerciements aux élus de Paris qui ont exprimé unanimement leur volonté d’inscrire le nom du Général Jacques Pâris de Bollardière, Compagnon de la Libération, au cœur de la capitale.
Après tant d’années de tourmentes, traversées par notre pays, c’est tout un symbole que de rendre hommage à ce valeureux combattant de la liberté et de la justice.
Ce Carrefour que nous inaugurons ce soir évoque la croisée des chemins de l’histoire qui balisèrent l’itinéraire d’exception d’un homme de courage et d’honneur. Il nous rappelle que nous sommes tous confrontés à des choix dont il nous faut assumer la responsabilité. Assumer la condition humaine, c’est tenter de faire triompher en nous la part d’humanité qui s’appelle
fraternité, tenter de bâtir avec d’autres un monde respectueux des hommes, faire barrage à la barbarie qui est en chacun d’entre nous, croire et s’appuyer sur les valeurs de la République et de la démocratie, et ne pas transiger, au risque de se perdre soit même et de désespérer de
l’humanité.
J’évoquerai ici trois carrefours de l’histoire, où les voies choisies par Jacques de Bollardière furent frayées à travers les ronces des préjugés, des conformismes et des idéologies, pour parvenir à quelques convictions dont il avait la certitude qu’elles donnaient un sens à sa vie, mais aussi à notre histoire.
La Résistance à l’occupation nazie. Lorsque se déclare la deuxième guerre mondiale, il s’engage énergiquement contre le nazisme
et participe à la victoire de Narvik en Norvège.
En juin 40, résistant de la première heure, il refuse l’humiliation de l’Armistice et de la Collaboration et rejoint l’Angleterre. Ce qui lui vaudra d’être condamné à mort par le tribunal de Vichy. Il participe à tous les combats des forces françaises libres en Afrique et au Moyen Orient.
En avril 44 il prend le commandement du Maquis des Ardennes. Il dira "Ainsi s’est fortifié en moi la conviction que l’important pour une population devant un occupant, c’est d’affirmer sa solidarité dans le refus de l’injustice. En même temps je prenais conscience de la dimension politique de la Résistance ».
Il a été un des soldats les plus décorés de la France Libre, Grand Officier de la Légion d’Honneur, Compagnon de la Libération, deux fois décoré du D.S.O. (distinguish service order), pour ne citer que celles-ci.
Le refus de la torture en Algérie.
Après la douloureuse guerre d’Indochine durant laquelle il assurera le commandement des troupes aéroportées, en mars 1957, la pacification en Algérie s’embourbe dans ce qui sera longtemps appelé "les évènements d’Algérie".
Deux conceptions d’une guerre qui ne dit pas son nom s’affrontent. Le Général Jacques Pâris de Bollardière refuse de subordonner l’action pacificatrice au préalable policier selon la méthode utilisée lors de la Bataille d’Alger.
Pourtant, le travail de pacification qu’il a engagé avec les commandos noirs du Lieutenant Jean Jacques Servan-Schreiber, et du Colonel Roger Barberot, renoue les liens de confiance avec les habitants de l’Atlas blidéen, générant une baisse considérable des attentats.
Après avoir tenté en vain d’alerter ses supérieurs, il demande à être relevé de son commandement en Algérie. Il rompt le complot du silence entretenu auprès de l’opinion publique afin d’attirer l’attention sur "l’effroyable danger qu’il y aurait pour nous de perdre de vue, sous le prétexte fallacieux de l’efficacité immédiate, les valeurs morales qui seules ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre armée", comme il l’écrira en première page du journal Le Monde.
Qu’un brillant officier Général dénonce la torture pratiquée en Algérie par l’Armée Française au nom de la France, provoque un choc dans l’opinion.
La sanction tombera : 60 jours de forteresse pour "atteinte à l’honneur des hommes qu’il avait eu sous ses ordres".
La violence systématique qui a prévalu en Algérie a sans doute permis une domination militaire, mais, assorti d’un tel désastre politique dont nous mesurons encore aujourd’hui les conséquences. De l’Amérique Latine à l’Irak, on sait que le modèle de la Bataille d’Alger en a été une référence, et quelle référence, hélas !
Le putsch militaire d’Alger le détermine à quitter une armée dont une partie de ses cadres se dresse contre le Pays.
Les voies de la non-violence.
La troisième croisée des chemins mène mon père, à travers la Bretagne, la France, l’Europe, le Monde, sur les voies de la résolution non-violente des conflits. "Quand je considère mon passé, l’impression qui domine c’est la continuité. J’ai voulu être militaire pour défendre certaines valeurs : la liberté, la justice, la dignité de l’homme. Cet objectif est toujours le
mien, seulement j’ai changé de stratégie".
La défense des droits de l’homme ne lui laisse aucun repos jusqu’au seuil de sa mort. Compagnon de la Libération, il devint Compagnons de toutes les libérations. Infatigable militant de l’éducation populaire, il se bat pour que les citoyens prennent leur destin en mains. Il fait partie de l’expédition de Mururoa pour protester contre les essais nucléaires dans le Pacifique. Il prend parti contre l’extension du camp militaire du Larzac. Il deviend l’un des artisans de la création du Mouvement Pour une Alternative Non-Violente
dont il partage tous les combats. Il participe au travail de développement économique et culturel de la Bretagne Il défriche les voies de l’écologie politique.
Soutenu tout particulièrement par son épouse Simone de Bollardière, je tiens ici à rendre hommage à celle qui fut en accord profond avec tous ses combats. Elle épouse avec intelligence et énergie, les luttes pour la justice et la dignité humaine. Après sa mort, elle soutient inlassablement les causes difficiles pour lesquelles elle est sollicitée.
Simone de Bollardière, que le nom de mon père soit inscrit dans la ville de Paris est un honneur qui vous revient de droit, et j’en remercie sincèrement les élus de Paris.
Avec mes sœurs nous avons en héritage un père qui nous a permis de mesurer le prix de la vie, et l’émerveillement devant son extraordinaire diversité, "le prix infini de chaque être humain", la beauté de la création.
C’est le merveilleux message qu’il a transmis à ses petits enfants qui l’enchantaient.
Mon père est parti dans une profonde sérénité, en paix avec sa conscience.
Dans un dernier entretien, pour le journal Panorama, quatre mois avant sa mort il dira : "Ce qui me fait courir ? J’ai mis bien longtemps à le comprendre, et je pense que je suis en train de le découvrir chaque jour. J’ai couru pendant trente ans sans voir la terrible violence du monde : je n’avais pas non plus l’expérience de la souffrance personnelle. Aujourd’hui je discerne peu à peu que la seule chose qui donne un sens à ma vie c’est la nouvelle que Paul et Luc ont apporté à Rome il y a deux mille ans. Ils ont dit de la part du Christ aux femmes les plus humbles, et aux esclaves les plus méprisés : "vous êtes des êtres humains".
Peut-être grisé par les mots, mais surement sincère, j’ai terminé mon livre "Bataille d’Alger, Bataille de l’homme", par ces mots : j’ose risquer tout mon être sur un pari, un pari sur l’amour. "Je crois que ceci est en train de devenir de plus en plus vrai et me donne envie de courir de plus en plus loin.
J’ai tellement aimé la vie. Mais je vous l’ai dit tout à l’heure, je vais maintenant enfin savoir ce que c’est que vivre. Je n’en ai eu encore que l’intuition."
Les combats de Jacques Pâris de Bollardière sont toujours d’une brulante actualité. Les chemins qu’il a défrichés nous interpellent encore aujourd’hui.
Et puisque l’inauguration de ce carrefour est un symbole fort pour notre pays, je conclurai par le dernier paragraphe de son livre "Bataille d’Alger, bataille de l’Homme" : "Ma vie prend tout son sens d’un coup à l’idée que l’un d’entre vous peut-être aura besoin de mon témoignage, que cela l’aidera à vivre, que nous serons devenus quelque chose de plus,
davantage homme, ensemble."
Armelle Bothorel
Sa fille
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