Un mois après l’intervention militaire française au Mali, une réflexion collective permet de jeter des perspectives pour l’avenir
Un forum organisé le 14 février à Paris par Sortir du Colonialisme avec Survie et l’AFASPA est nouvelle étape pour rechercher, malgré des divergences, un fil conducteur pour trouver des convergences nécessaires pour permettre au Mali se se sortir du piège dans lequel il se retrouve actuellement
Depuis le 10 janvier 2013, la France est entrée en guerre au Mali. La propagande du gouvernement français, tend aujourd’hui à légitimer par tous les moyens cette nouvelle intervention militaire française sur le sol africain et son rôle de "gendarme de l’Afrique" dans ses anciennes colonies africaines. Il est de notre devoir en tant qu’anticolonialistes et partisans de la solidarité internationale des peuples de faire toute la lumière sur l’opération Serval
1°) Sur la base de quel mandat cette guerre a-t-elle été déclenchée ?
Cette intervention directe a été décidée dans l’ombre, sans consultation préalable du Parlement et ne s’inscrit pas dans le cadre des résolutions de l’ONU contrairement à ce que tente de nous faire croire le gouvernement. Une fois de plus, la France joue le rôle de gendarme de l’Afrique, en s‘appuyant sur la présence permanente de son armée dans la région. C’est le dispositif Epervier, en place au Tchad depuis 1986 alors qu’il était supposé provisoire, qui est mobilisé. À travers l’opération baptisée Serval, ce sont donc les liens que Paris entretient avec des dictatures, celles entre autres, d’Idriss Déby et de Blaise Compaoré, qui se trouvent une nouvelle fois renforcés.
2°) Comment en est on arrivé là ?
Le prétexte de cette intervention militaire française est la lutte contre les groupes armés maffieux et djihadistes qui contrôlent une partie du territoire malien. Ces groupes fanatiques font régner la terreur dans les zones qu’ils contrôlent et nous n’avons aucune indulgence pour eux. Il faut les stopper. Cependant leur présence et la facilité avec laquelle ils se sont déployés, traduisent deux faits majeurs :
L’existence de profonds problèmes sociaux, économiques et politiques, que les régimes au pouvoir au Mali, sous contrôle de la France, n’ont pas résolus, quand ils ne les ont pas aggravés par leur gestion du pays. Au Mali, un régime corrompu s’est plié aux injonctions du libéralisme économique et s’est montré inopérant à assumer les responsabilités de l’Etat en matière sociale, éducative et de sécurité. Les revendications portées par une partie de la population touareg n’ont jamais trouvé de réponse satisfaisante depuis le temps des « indépendances ». En 1984 la Françafrique impose au Mali son retour au Franc CFA. Le 11 janvier 1994, la dévaluation de 50 % de cette monnaie imposée par la France à ces pays va considérablement aggraver leur situation économique. L’étranglement financier des Plans d’Ajustement Structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale, a contribué au démantèlement de l’Etat malien. La dette et son remboursement continuent d’être les instruments d’une paupérisation des populations.
L’intervention militaire franco-britannique en Libye dont les conséquences furent la dissémination d’armes dans la région et le reflux au Mali de milliers de mercenaires a engendré le chaos et l’occupation du Nord du Mal par ces groupes armées.
C’est dire qu’une solution militaire, a fortiori, une intervention militaire étrangère, ne résout aucun de ces problèmes, bien au contraire.
3°) La France, sous couvert de l’aide au peuple malien, défend au Sahel ses intérêts privés stratégiques
Le Sahel est une région de matières premières riches et encore largement inexploitées. La France y a des intérêts stratégiques : pétrole, uranium, ressources énormes en eau souterraine, terres cultivables, or, fer, bauxite… Tout cela est convoité par les multinationales françaises, qataries, américaines… Sans oublier la plate-forme aéroportuaire de Tessalit (près de Kidal), utile pour surveiller et contrôler toute la région du Sahel, la Méditerranée, la mer Rouge. Cinq bassins de gaz et de pétroles recèlent un potentiel important. La Mauritanie a elle aussi des richesses pétrolières non encore exploitées. Présent dans ces pays, Total y multiplie les opérations d’exploration. Le Niger revêt un aspect stratégique pour le nucléaire français puisqu’Areva y exploite ses mines d’uranium, provoquant en même temps un désastre écologique de très grande ampleur, dont les populations locales sont les premières victimes.
4°) La Françafrique, ce n’est pas fini !
La France, malgré toutes les déclarations vertueuses sur « la fin de la Françafrique », conduit une fois de plus une opération dans son précarré traditionnel. Depuis la « décolonisation », c’est la 53ème intervention de l’armée française sur le continent dont on peut apprécier les résultats. Elle peut se déployer tout simplement parce qu’elle dispose de bases militaires dans cinq pays de la région. Nous devons en terminer avec cette fonction de gendarme autoproclamé de l’Afrique. L’intervention militaire et la guerre par procuration renforcent la dépendance des pays africains. Ce choix permet à la France de maintenir son influence géopolitique dans la région, et de préserver des intérêts privés face aux différents appétits d’autres acteurs économiques internationaux. La crise malienne et cette nouvelle intervention militaire française en Afrique révèlent l’échec de 50 années de "coopération" avec l’Afrique : armées incapables de protéger leurs populations, chefs d’Etat médiateurs de crises, eux-mêmes putschistes, accords de défense et bases militaires qui ont perpétué la domination de la France sur ses anciennes colonies. Ces événements appellent une fois de plus à une remise en cause de l’ensemble du cadre des relations franco-africaines. La Françafrique ce n’est pas fini. Constituée autour de l’Etat major, des entreprises françaises et de l’Elysée, liées à des dictateurs corrompus et à des réseaux parallèles et maffieux, la Françafrique contribue à piller les ressources naturelles des pays francophones par la corruption, la manipulation et la guerre, en toute impunité. Elle permet à des chefs d’Etat de se maintenir au pouvoir, contre les aspirations des peuples à prendre leur avenir en mains.
5°) Le remède est à terme pire que le mal : les conséquences de l’intervention militaire sont dévastatrices
Avec un objectif politique aussi flou et malléable que « la lutte contre le terrorisme », une telle guerre peut être sans fin : initialement présentée comme une nécessité défensive, l’opération Serval a déjà basculé dans une phase offensive et est désormais annoncée pour une durée indéterminée. Le bilan accablant des récents antécédents français en Afrique annonce pourtant l’échec programmé de cette aventure : Les interventions de 2011 en Côte d’Ivoire et en Libye ont en effet débouché sur des situations internes explosives, aujourd’hui passées sous silence. Cette fois encore, l’opération militaire risque de laisser place à des comportements de revanche violents contre la population du nord du Mali, notamment des exactions contre les populations arabe et touareg, dont l’armée française pourrait bien se rendre complice au nom de la lutte contre le terrorisme.
Cette logique de guerre risque même de déstabiliser le Sahel tout entier, par la dissémination des groupes armés et la présence de troupes étrangères offrant le prétexte idéal à de nouvelles prises d’otages et à la mobilisation de nouveaux djihadistes, parmi la population locale ou en provenance d’autres régions du monde.
La rhétorique belliciste de la guerre contre le terrorisme, de l’Irak à l’Afghanistan renforce le djihadisme et l’idéologie de la guerre de civilisation, sans rien résoudre sur le terrain. Cette rhétorique est d’autant plus dangereuse qu’elle favorise le renforcement des courants djihadistes notamment en Tunisie et en Libye.
6°) La France doit balayer devant sa porte :
Elle est muette sur le rôle des Etats du Golfe qui soutiennent financièrement les djihadistes qui ont attaqué le Mali. Mais elle parle « affaires » avec le Qatar et coopère militairement avec l’Arabie Saoudite.
La guerre au Mali aggrave une situation catastrophique. Avant même l’intervention militaire française, plus de 150 000 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins, plus de 230 00 ont été déplacées à l’intérieur du pays, selon le HCR. La France, de la colonisation à l’intervention en Libye, a une responsabilité particulière dans la situation actuelle. Elle ne peut s’exonérer de ses responsabilités vis à vis des souffrances du peuple malien. Elle doit appliquer pour les immigrés maliens avec ou sans papiers, un devoir d’hospitalité, qui doit se traduire par :
un moratoire sur les expulsions de Maliens, en situation administrative irrégulière, vers leur pays d’origine et une régularisation à titre exceptionnel et humanitaire comme cela est prévu dans les textes en raison de l’état de guerre
la suppression de l’exigence de visas pour les Maliens voulant venir en France
7°) Pour une solution politique basée sur la souveraineté du peuple malien
La reconquête de la souveraineté territoriale du pays doit aller de pair avec la reconquête par le peuple malien de sa souveraineté dans le cadre d’un processus national constituant, sans ingérence des grandes puissances. La France doit respecter la souveraineté des pays du Sahel sur leurs ressources naturelles. Ces derniers mois, la France n’a en rien contribué à l’émergence d’une solution politique discutée par l’ensemble des Maliens et de nature à favoriser un consensus, préalable à une réorganisation rapide des forces de sécurité. Aujourd’hui, la présence de soldats français jusque dans Bamako représente une pression importante sur les autorités maliennes en état de grande faiblesse. Une solution politique passe donc nécessairement par le retrait des troupes françaises. C’est aux Maliens qu’il revient de dessiner l’avenir de leur pays.
Paris le 10 Février 2013
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