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La lettre de Josette AUDIN à Nicolas Sarkozy
"La vérité pour Maurice Audin"

Suite aux "engagements" de transparences pris par le Candidat Nicolas Sarkozy dans sa campagne électorale à la présidence de la République, Josette Audin, la veuve de Maurice est donc intervenue par une lettre ouverte

Article mis en ligne le 4 juin 2010
dernière modification le 13 novembre 2010
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Josette Audin a rendu publique une lettre ouverte demandant à Nicolas Sarkozy de mettre son autorité au service de la justice pour que la vérité éclate. Lui qui proclame que la transparence doit être la règle fondamentale, depuis le nombre de mois qu’il a reçu cette missive, il ne semble pas que ce principe soit réellement respecté dans ce domaine.

Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy de l’épouse du jeune mathématicien communiste enlevé, torturé et assassiné par les paras français, il y a cinquante ans à Alger.

Monsieur le Président,

Le 11 juin 1957, j’avais vingt-six ans, j’habitais à Alger, rue Gustave-Flaubert, avec mon mari, vingt-cinq ans, et mes trois enfants, Michèle, trois ans, Louis, dix-huit mois, et Pierre, un mois. Des parachutistes de l’armée française ont fait irruption et ont emmené mon mari. Depuis cette date, je ne l’ai jamais revu. À mes questions, il m’a été répondu qu’il s’était évadé. Les historiens, parmi lesquels un homme connu pour sa rigueur scientifique et morale, Pierre Vidal-Naquet, ont établi qu’il était mort sous la torture, le 21 juin de cette année 1957. Mon mari s’appelait Maurice Audin.

Pour moi, il s’appelle toujours ainsi, au présent, puisqu’il reste entre la vie et la mort qui ne m’a jamais été signifiée.

Depuis cinquante ans, jusqu’à aujourd’hui, les autorités civiles et militaires ont opposé un silence de plomb à toutes les requêtes destinées à connaître enfin la vérité, en particulier au comité Audin qui a rassemblé, durant des années, les meilleurs esprits.

Je ne demande pas, Monsieur le Président, dans le cadre de cette démarche, que s’ouvre un procès des tortionnaires meurtriers de mon mari, sachant que des lois d’amnistie les couvrent, même si je pense que la justice française se grandirait en appliquant une jurisprudence internationale pour laquelle aucune affaire criminelle ne peut être éteinte tant que le corps reste disparu. Des pays qui se targuent moins que le nôtre de porter haut les droits de l’homme en sont venus à procéder ainsi dans un souci de réhabilitation. Je ne vous demande pas, non plus, de repentance, un mot qui n’appartient pas à mon vocabulaire. La torture passée ou présente, et où qu’elle se pratique, exige reconnaissance, stigmatisation, condamnation, et rien d’autre.

Je vous demande simplement de reconnaître les faits, d’obtenir que ceux qui détiennent le secret, dont certains sont toujours vivants, disent enfin la vérité, de faire en sorte que s’ouvrent sans restriction les archives concernant cet événement. Vous qui invoquez fréquemment l’honneur de la France, ne la laissez pas, pour un temps encore, se déshonorer en cautionnant la dissimulation honteuse de cette mort. Vous qui parlez de la souffrance, du courage et de l’humanité des résistants, ne laissez pas enfoui dans la fosse commune de l’histoire, sans lui rendre au moins son identité et sa vérité, un homme comme mon mari qui avait tellement l’Algérie au cœur, et dont les convictions de jeune mathématicien et de militant communiste étaient si pures, qu’il s’est dressé contre des méthodes barbares et qu’il a donné sa vie à ce pays, l’Algérie. On dit que tout homme a droit à une sépulture. C’est même ce que l’on s’efforce
d’accorder, aujourd’hui, pour leur rendre un minimum de dignité, aux morts de la rue. La France va-t-elle se refuser encore à accorder ce droit à mon mari et la possibilité pour ma famille, mes enfants, mes petits-enfants de faire le travail de deuil dont personne, dit-on, ne doit être privé ?

Monsieur le Président, on le sait, l’histoire a donné raison à mon mari, à son engagement pour l’indépendance de l’Algérie, ce pour quoi il a été tué. Aujourd’hui, des voix s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour considérer que les hommes comme Maurice Audin, et bien d’autres, étaient la chance d’une Algérie multi-éthnique, multiculturelle, permettant aux sensibilités, aux divers courants politiques, de cohabiter. Les avoir sacrifiés constitue un épouvantable gâchis. Pour cela aussi, on doit la vérité à Maurice Audin.

Monsieur le Président, il s’agit d’un crime contre un homme, contre sa famille, contre l’Algérie, contre la France, contre l’humanité. Hélas, je le sais, il n’est pas le seul crime de cette guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu et qui a fait d’innombrables victimes algériennes et françaises. La torture à laquelle n’a pas survécu mon mari n’était pas un accident, elle avait été, selon les propos du général Massu lui-même, chef des parachutistes à Alger, institutionnalisée.
Si la vérité sur la mort de Maurice Audin, mon mari, était enfin dévoilée, nombreux seraient ceux, sur les deux rives de la Méditerranée, qui y verraient un acte de justice pour tous, contribuant à l’amitié entre des peuples meurtris, et rendant au mot de république un peu du crédit perdu dans ces circonstances.

Pour moi, il est insupportable de ne pas connaître cette vérité, mais il est non moins insupportable, sachant qu’il est mort sous la torture, seule certitude que nous ayons, que la torture ne soit toujours pas condamnée par la France.

Monsieur le Président, je veux encore croire que la France, par votre voix, m’apportera enfin la réponse. Je l’attends, depuis cinquante ans, chaque jour de ma vie.

Avec toute ma considération.

Josette Audin À Paris, le 19 juin 2007

P.S. :

Cette lettre n’a pas encore reçu de réponse. Mais cette non réponse, de fait en est bien une : le mépris.

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